Le couvre-feu en Guyane
Par rapport au confinement généralisé, le couvre-feu sanitaire est une stratégie plus ciblée qui vise à maintenir une activité économique durant la journée tout en réduisant les contacts sur des plages horaires qui sont majoritairement dédiées aux activités privées. L’intensité du couvre-feu peut être contrôlée en modulant l’étendue des plages horaires concernées (par exemple 21h-6h, 19h-6h, 18h-6h, 17h-6h) et en incluant tout ou une partie des week-ends. L’impact de la mesure peut être moins important qu’anticipé s’il y a des stratégies d’évitement (par exemple, voir autant ces amis en les rencontrant plus tôt ; dormir chez ces amis) ; le risque est d’autant plus limité que le couvre-feu est étendu avec des plages horaires larges.
Nous avons évalué l’impact du couvre-feu mis en œuvre en Guyane en juin-juillet 2020 (Andronico et al, Nature Communications). Comme le reste de la France, la Guyane est sortie de confinement le 11 mai 2020 avec des mesures de contrôle qui sont restées fortes : les écoles, lieux de cultes et les cinémas sont restés fermés ; les restaurants sont restés ouverts mais ils ne pouvaient recevoir les clients qu’en extérieur ; un couvre-feu a été instauré de 23h à 5h. Face à une recrudescence importante de l’épidémie, les mesures de contrôle ont été progressivement renforcées durant le mois de juin. Le couvre-feu a été progressivement étendu. Le 10 juin, le couvre-feu a été avancé à 21h durant la semaine et pendant toute la journée du dimanche. A partir du 18 juin, il commence à 19h durant la semaine, et le week-end à partir de samedi 15h. Le 25 juin, l’heure de démarrage est avancée à 17h durant la semaine, et le week-end à partir de samedi 13h. En parallèle, des confinements localisés sont instaurés dans 23 quartiers à haut risque et des campagnes importantes de dépistages sont mises en œuvre.
En analysant la dynamique des hospitalisations, nous avons estimé que le nombre de reproduction de base R0 (c’est-à-dire, le nombre moyen de personnes infectées par un cas s’il n’y avait pas d’immunité dans la population) est passé de 1.7 à 1.1 à une date qui coïncide globalement avec la mise en place des interventions. Cette réduction importante du taux de transmission combinée au fait qu’une proportion non négligeable de la population a été infectée (15% d’après une enquête sérologique réalisée courant juillet) (Flamand et al, MedRxiv 2020) a permis de contrôler l’épidémie.
Il n’est cependant pas possible de distinguer l’impact du couvre-feu de celui des autres mesures ayant été mises en place de manière concomitante. Par ailleurs, il est important de rappeler que le contexte Guyanais est particulier et qu’une approche ayant fait ses preuves en Guyane ne sera pas nécessairement efficace dans le contexte métropolitain.
Un autre enseignement de cette étude est que nous avons pu mesurer comment la pyramide des âges plus jeune en Guyane avait modifié l’impact de l’épidémie sur le système de santé, avec à peu près trois fois moins d’hospitalisations pour un même nombre d’infections par rapport à ce qui aurait été observé en France métropolitaine.
- Alessio Andronico, Cécile Tran Kiem, Juliette Paireau, Tiphanie Succo, Paolo Bosetti, Noémie Lefrancq, Mathieu Nacher, Félix Djossou, Alice Sanna, Claude Flamand, Henrik Salje, Cyril Rousseau, Simon Cauchemez Evaluating the impact of curfews and other measures on SARS-CoV-2 transmission in French Guiana, Nature Communications (2021) https://doi.org/10.1038/s41467-021-21944-4
- Claude Flamand, Antoine Enfissi, Sarah Bailly, Christelle ALVES SARMENTO, Emmanuel Beillard, Melanie Gaillet, Celine Michaud, Veronique Servas, Nathalie Clement, Anais Perilhou, Thierry Carage, Didier Musso, Jean-Francois Carod, Stephanie Eustache, Celine Tourbillon, Elodie Boizon, Samantha James, Felix Djossou, Henrik Salje, Simon Cauchemez, Dominique Rousset Seroprevalence of anti-SARS-CoV-2 IgG at the epidemic peak in French Guiana, medRxiv (2020) https://doi.org/10.1101/2020.09.27.20202465